Thursday, May 5, 2011

Kérak

Depuis le port d'Aqaba, notre route descend doucement (hé oui !) à travers le Rift jusqu'aux rives blanches de la mer Morte. Après plusieurs heures de route le petit bus s'attaque avec courage aux contreforts du plateau Jordanien. C'est en négociant avec prudence un virage que la forteresse de Kérak nous apparaît au soleil de l'après-midi. Dissimulant la ville s'étendant de l'autre côté du promontoire, plus à l'Est et au Nord, les murailles massives semblent avoir méprisé le cours du temps et règnent encore sur une belle vallée verdoyante. Une première halte permet de découvrir la ville, au climat sensiblement plus frais, avec ses marchés de fruits ou d'épices, et l'incontournable dégustation du mansaf, dont Kérak est la capitale.


Histoire de la forteresse

En 1099, les armées européennes de la 1e croisade prennent Jérusalem, dont le nouveau Royaume fera partie des Etats latins d'Orient. A cette époque, les puissances musulmanes d'Egypte et de Syrie sont régulièrement en guerre, ce qui profite à l'expansion du Royaume franc de Jérusalem, parfois vu comme un allié potentiel. C'est ainsi que la construction de la forteresse de Kérak débute vers 1140. Les pierres taillées à la va-vite ou l'absence de joint témoignent de la hâte qu'avaient les Francs de sécuriser la région de l'Outre-Jourdain, passage clé pour les caravanes entre la Syrie et l'Egypte.

Le château sera à plusieurs reprises le théâtre de l'affrontement entre les grands personnages de l'époque: Saladin, dirigeant Syrien et Egyptien, qui travaillera toute sa vie à l'unification des puissances musulmanes dans le but de reprendre les territoires Latins, Baudoin IV, roi de Jérusalem, adolescent, lépreux et pourtant d'une détermination légendaire jusqu'à sa mort annoncée, et surtout Renaud de Châtillon, arrogant seigneur de Kérak, grand guerrier et médiocre dirigeant, défiant autant Saladin que son roi du haut de sa citadelle. Plus brigand que gouverneur, ses attaques en temps de paix et ses initiatives hasardeuses attireront la colère de Saladin et plusieurs sièges épiques de la forteresse, et précipiteront la fin du Royaume. Le château tombera aux mains de Saladin encore deux ans après la prise de Jérusalem, et sera moins utilisé par la suite.

L'histoire du château témoigne de la richesse historique de la région, du contact et des échanges qui ont eu lieu entre différentes civilisations en marge des conflits. On retrouve des escaliers de style arabe, des arches européennes, des voûtes byzantines...
A peine passé le pont et l'entrée de la citadelle, le regard s'envole par-dessus les créneaux, vers la vallée, vers la plaine et la mer Morte puis les collines d'Israël et de Cisjordanie, d'où l'on pouvait voir les feux d'alerte du château. L'horizon et le vent venant battre la muraille permet au site de conserver toute sa grandeur. Si les bâtiments les plus hauts sont aujourd'hui en ruines, la constitution très massive du château, épousant le rocher, a permis de conserver sa forme générale, les cours, les escaliers et de nombreuses galeries, et l'on s'immerge facilement dans ces vieilles pierres qui n'ont pas perdu leur majesté. On prend plaisir à se perdre dans les escaliers obscurs et les galeries aux nombreux jeux de lumière, à imaginer les banquets ou les conseils se tenant sous ces voûtes. Avant de repartir de cette dernière étape en Jordanie, un dernier passage sur les sommets venteux du site, une dernière bouffée d'horizon dans ce petit pays qui décidément fait tout en grand.

Thibaut Lachaut

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